Emploi : ces entreprises qui jouent la carte senior

À rebours de certains clichés, de nombreuses sociétés, petites et grandes, se félicitent de posséder en leur sein des salariés expérimentés et motivés par le partage de leur savoir avec les autres générations.

"Difficultés à être managés et à intégrer une équipe plus jeune", "résistance au changement", "faible capacité d’appropriation des nouvelles technologies"… 

S’agissant de la place des seniors dans l’entreprise, les clichés ont la vie dure. Dans certains groupes, toutefois, la prise de conscience de l’importance de considérer les compétences de l’ensemble des collaborateurs, quel que soit leur âge, est bien réelle. 

À l’image d’EDF (60 000 salariés), où l’expérience accumulée est clairement reconnue "Les seniors jouent un rôle clef dans la valorisation et le partage des savoirs", confirme Jean-Baptiste Obéniche, directeur du pôle Diversité à la direction des ressources humaines du géant tricolore de l’énergie.

"Nous avons mis en place, ces dernières années, des pépinières qui organisent des binômes entre un senior et un nouvel entrant pour faciliter le transfert des savoir-faire. Cela a permis d’accompagner des départs anticipés, en assurant la transmission de compétences techniques spécifiques comme la chaudronnerie ou le pilotage des centrales nucléaires."

Même volonté de mixer les générations chez l’opérateur téléphonique Orange (64000 salariés). 

"Nous développons une politique d’insertion professionnelle très forte, avec le recrutement de 4000 alternants et 2400 stagiaires par an.

Parmi nos 3000 tuteurs mobilisés, de nombreux seniors communiquent les gestes professionnels et des éléments de culture de l’entreprise, alors que les jeunes amènent des apports pédagogiques intéressants sur des métiers en évolution, vante Brigitte Sabotier, DRH France du groupe. Ce passage de relais entre générations est central pour nous."

Danone, en liaison avec d’autres sociétés renommées (Engie, Société Générale, L’Oréal), a initié le programme Octave, qui entend sensibiliser les salariés aux vertus de la diversité générationnelle.

La Française des jeux (2500salariés) distingue les seniors, proches de la retraite, des 45 ans et plus. Elle propose à ces deux catégories des formations ciblées selon les projets  professionnels et de vie de chacun, avec l’objectif de les maintenir en activité jusqu’en fin de carrière.

• L’atout de la mixité des âges

Mais le souci d’équilibrer les âges au sein des effectifs n’est pas l’apanage des grandes sociétés, dont un certain nombre se rassemblent au sein du Club Landoy, un cercle de réflexion sur les enjeux de la transition démographique initié par le groupe Bayard, éditeur de "Notre Temps". Malgré la crise sanitaire qui affecte le tissu économique national, un grand nombre d’établissements de taille moyenne envisagent avec bienveillance le recrutement de seniors.

À l’image de l’entreprise Apef, un groupe d’aide à domicile réparti sur l’ensemble de l’Hexagone et dont la moitié des 3000 salariés dépasse la cinquantaine. 

"Nous ne regardons pas l’âge des gens que nous recrutons mais leur parcours, leurs motivations et leurs valeurs. Nous constatons que le fait d’avoir différentes générations dans nos équipes représente une véritable richesse", constate Sébastien Cogez, directeur de la structure, qui souligne que la moitié de son comité de direction a plus de 50 ans.

Même enthousiasme chez Abdellah Nasri, directeur chez Partner Conseils, un cabinet de courtage en assurances de vingt-cinq collaborateurs basé dans le sud de Paris. 

"Nous comptons cinq seniors dans notre effectif dont certains cumulent emploi et retraite. Le monde de l’assurance est complexe, leur expertise est très utile pour éclairer les choix de nos clients. Nous allons en recruter cinq autres d’ici la fin de l’année."

Fondateur de TeePy Job, site d’emploi consacré aux seniors (teepy-job.com), Jean-Emmanuel Roux confirme l’appétence croissante pour ces collaborateurs expérimentés, notamment dans des secteurs en tension comme l’hôtellerie-restauration, le BTP, les services à la personne et, bien sûr, la "silver économie", ces entreprises concevant des produits et services pour les seniors, en phase avec le vieillissement de la population. "On estime qu’un senior coûte cher? Sûrement moins que deux jeunes. 

De surcroît, ces personnes de plus de 50 ou 60 ans possèdent une conscience professionnelle et une rigueur au-dessus de la moyenne", plaide-t-il.

Il n’empêche que si le regard porté sur les seniors au travail a évolué depuis vingt ans - en témoigne la progression de leur taux d’emploi (30% en 1997 contre 51,3% aujourd’hui pour les 55-64 ans) -, ils demeurent bien plus exposés au chômage de longue durée que le reste de la population.

"Il existe un véritable paradoxe et une authentique injustice, car on incite les seniors à prolonger leur carrière, alors même qu’ils sont confrontés à la défiance des directions tant pour le recrutement que pour le maintien en poste", dénonce Claude Waret, président de la Fédération interrégionale pour le développement de l’emploi des seniors (Fides).

• Des incitations plus fortes?

Alors, comment booster l’employabilité des salariés "âgés"? Et ce, d’autant plus dans l’hypothèse d’un décalage de la retraite pour équilibrer le système…

Remis au gouvernement début 2020, le rapport "Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés", piloté par Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration du groupe de restauration collective Sodexo, livre un certain nombre de pistes: favoriser les transitions progressives entre "pleine activité" et "pleine retraite", faire évoluer les représentations négatives frappant les plus de 50ans ou encore prévenir les risques d’obsolescence des compétences en seconde partie de carrière. 

L’Association nationale des DRH (ANDRH) a proposé de son côté d’instituer un index calqué sur le modèle de celui de l’égalité professionnelle femmes-hommes.

Rendu public, il inciterait les employeurs à jouer la carte senior, en intégrant des critères comme leur taux de formation, leur taux d’emploi, leur mobilité interne. 

"Cela aiderait les entreprises à les faire davantage travailler. L’obligation de résultats aurait pour objectif d’accélérer la sensibilisation en faveur de cette cause si importante pour l’ensemble de la société", assure Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Chiche.

• Un label pro senior

Le comité de bassin d’emploi 94 (Val-de-Marne) a lancé, il y a deux ans, le label Emploi 45+. Objectif: valoriser les entreprises du département recrutant les plus de 45ans. Parmi les sept déjà labellisées, le groupe de BTP NGE (13000salariés en France et à l’étranger). 

"Nous privilégions la compétence avant tout, pointe Bruno Pavie, son DRH. Nous recrutons régulièrement sur nos chantiers des ouvriers, des employés ou des techniciens  de 45ans."

Idem pour les plus de 55ans qui possèdent "l’immense mérite", selon lui, d’être immédiatement opérationnels et de pouvoir faire "monter en compétences" les salariés plus jeunes. "Ils apportent de la pondération et du sang-froid dans le travail, c’est important dans notre activité où les risques sont présents, rappelle-t-il, une trentaine passent d’ailleurs dans notre centre de formation."

Comme Pietro, 56 ans, ex-mineur de Lorraine qui forme "jeunes et moins jeunes" au travail souterrain. 

"Je leur transmets l’expertise de mon métier, mais aussi l’esprit d’équipe, comme dans les mines. Ce boulot me passionne !"

Source : https://www.notretemps.com